Le geste n’est pas anodin il laisse sa trace sur le tableau. La peinture peut être le moyen de s’exprimer avec spontanéité et énergie ou réflexion et mesure. Alors comment définir ce qui réunit l’ensemble de ces peintres?
Au delà de toute signification implicite ou même explicite, le geste pour certains se fait fulgurance, instant d’énergie suspendu dans le temps. La surface de la toile devient le support de la pulsion créatrice de l’artiste qu’elle se traduise par d’amples jaillissements ayant valeur de signes, par des matières griffées, grattées, texturées, entre traces et écritures, par des des liquidités transparantes ou des terres sombres, tels des espaces infinis tendus entre ombres et lumières.
Pour d’autres, par des principes d’élaboration sériels, une trace plus humble, plus mesurée où si le geste délaisse une pulsion originelle, si celui-ci apparait plus contraint, il n’en est pas moins le reflet de la volonté de l’artiste. Le geste est le lieu où le visible échappe au discours. Aussi le corps tout entier de l’artiste a souvent pris possession de l’espace de ses peintures. Les signes qu’il inscrit et les traces de ses gestes et de ses instruments rappellent son passage. En faisant de la peinture, on peut improviser, gribouiller, barbouiller, effacer, refaire ou au contraire s’im- poser un geste définitif. Le tableau gardera pour toujours la trace de ce moment de liberté.
Le geste enfonce la certitude d’une action, il donne une réalité à l’image. Ce qui guide la pointe d’un pinceau ou d’un crayon, n’est pas autre chose que la nécessité impérieuse de l’artiste destinée à donner forme dans l’espace à l’articulation entre les mouvements du corps et le tracé du pinceau. Le geste peut être un corps à corps ou une mise à distance de la toile, une démesure ou une économie. C’est là que le corps du peintre est impliqué dans ses toiles, il y laisse des traces et les mouvements libres de son corps y sont perceptibles.
Ce qui réunit ces peintres c’est une certaine vérité gestuelle, corporelle qui établit des passages vers la peinture. Le peintre nous aide à com- prendre que la vérité de l’écriture est dans la main qui appuie, trace et conduit, c’est-à-dire « dans le corps qui bat, qui jouit ». Roland Barthes